Tiens, si on se donnait rendez-vous…
2 novembre 2000
Je grimpe dans ma 306, première voiture achetée avec mes propres sous. Je l’ai depuis une semaine à peine, peinture vert anglais, j’en suis très fier.
Sauf que ce matin là, il est 7h, je prends la route pour rejoindre un hôpital à 100km de là, pour entamer mon premier stage d’interne.
Et ça, ça me fait beaucoup moins crâner. La nuit a été courte et agitée, j’ai deux tonnes de plomb en fusion dans l’estomac, et la coordination motrice de mes genoux me semble tout à fait fantaisiste.
Je parviens tout de même à maîtriser mon véhicule pour me rendre sur place, le chat dans le coffre, avec sa litière, ses croquettes, mes fringues pour quelques jours. Ses miaulements de détresse, comme à chaque voyage, m’occupent l’esprit sur la route.
J’ai déjà fait l’aller retour la semaine précédente, pour me présenter, mais je reste concentré sur l’itinéraire, pour ne pas louper un panneau indicateur. Arriver en retard le 1er jour, ce n’est pas envisageable.
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C’est le début de la pénurie, pour les internes de médecine générale. On peine à recruter. La médecine générale n’attire plus.
On nous appelle encore « résidents », mais seulement la secrétaire de la fac, pour les autres, ça donne un arrière goût de carte de séjour, alors on préfère « internes ». Pour les malades, on va vite être « Docteur », comme les autres, mélange de sentiment d’usurpation et d’angoisse devant l’étendue de notre incompétence à répondre à toutes leurs questions.
Nous serons 5, pour ce semestre. Nous sommes tous dans le même bain, baptême du feu, premier stage.
Ça va nous souder. Chaque soir, on se retrouve à l’internat, on se raconte nos découvertes, nos erreurs, nos fiertés, nos angoisses.
Les premiers diagnostics qu’on fait tout seul.
Les premiers patients auxquels on s’attache, et qui meurent quand même.
C’est comme une petite famille, qui se construit; on apprend à se connaître, chacun a ses failles, mais chacun sait offrir son écoute ou son aide, quand l’autre en a besoin.
On organise le soutien à coup de tartiflette et de fondue bourguignonne. J’aurai pris 5 kg en 6 mois au total.
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Le semestre passe, nouveau choix de stage. Nous sommes disséminés sur la région, certains par volonté, d’autres auraient aimé rester sur cet hôpital, mais le classement ne nous permet pas toujours de faire ce qu’on veut.
Mais les liens restent.
Depuis la fin de l’internat, une fois par an, tout le monde se retrouve, dans un gîte, à la campagne ou en montagne, pour reconstruire le temps d’un week-end cette famille, qui s’agrandit au fur et à mesure des naissances, malgré la mauvaise volonté de certains à ne pas se reproduire.
Nos itinéraires divergent.
Un qui, trop attaché à la vie citadine, est installé en plein centre de notre ville universitaire.
Une qui, par manque de confiance en elle, n’envisage pas de faire autre chose que des remplacements, entre ses grossesses.
Une qui, pour profiter de ses enfants, et de son divorce, travaille à la PMI, avec les horaires et les vacances qui vont avec.
Un qui, non content de s’être installé à la cambrousse, s’investit en plus dans un hôpital local pour remplir son temps libre, mais ce n’est pas grave, il n’aura jamais de môme pour ça.
On a d’autant plus de choses à se raconter, à partager. Même si l’on n’a pas pris le temps de s’appeler depuis la réunion de l’année dernière, on ne s’en veut pas, on profite des retrouvailles.
On bouffe, on boit, on se vanne, on se chatouille, on se marre.
On a même pas la larme à l’œil le dimanche soir quand on charge les voitures.
On sait qu’on sera tous au rendez-vous, l’année prochaine
on fait la même chose avec mes copines rencontrées en P2…
On est 4 généralistes, 2 cardiologues, 1 pneumologue, 1 psychiatre, et 7 gosses pour le moment. On a des trajectoires bien différentes, on est aux 4 coins de la France, y en a qui sont installées d’autres pas, yen a qui galèrent d’autres pas (et c’est pas forcément celles qu’on croit, dur dur de trouver une place d’assistanat en cardio…)
Parfois on ne s’est pas vues depuis l’année d’avant, mais dès qu’on se retrouve c’est comme si on ne s’était jamais quittées.
Pour moi c’est un des meilleurs moments de l’année, et j’espère que ça continuera longtemps.
Je regrette de ne pas avoir instauré un tel rituel avec mes amis de promo maintenant on se voit de moins en moins et surtout jamais tous ensemble, c’est un peu triste.
Gardez cela le plus longtemps possible, c’est précieux.
Punaise, c’est énorme. Pareil avec ma fournée de co-internes du 1er semestre. On continue à se faire des bouffes régulièrement, et j’espère bien qu’on continuera. Là on est en au stade où l’on va aux thèses des uns et des autres, où l’on s’installe…. Ca fait tout drôle de se dire qu’un jour on s’est rencontrés dans la salle de repos de notre premier service, tous malades de trouille…
Tiens, j’étais passée à côté de ce post…
J’aurais aimé continuer de les voir tous, ceux qui m’ont aidée à tenir ces 6 premiers mois. Mon co-interne est devenu un ami, et une psychologue qui travaillait là bas aussi. Ils font partie de ma famille. Ce premier semestre est violent et crée des liens solides.
Profites-en longtemps.
(mais il ne serait pas bon que celui qui se réfugie dans l’hôpital local y passe trop de temps, on ne sait pas, il a peut-être mieux à faire ailleurs, et peut-être qu’un jour il aura un enfant, il a encore le temps)
De mon temps, interne en CHU de province, on était à peine 30 par promo, et c’est toute la spécialité que nous faisions ensemble dans un ou 2 services. Maison pour les internes, avec notre cuisinier, améliorés, fêtes, diners de patrons. Que de souvenirs pour alléger les innombrables heures de boulot, les gardes de porte non rémunérées et non récupérées, les 36 heures de boulot sans dormir.
Ce n’est pas si lointain, car je viens seulement de passer 55 ans !
En tous cas, je confirme, les liens entre internes ne se distendent pas. A chaque rencontre, c’est comme si le temps n’avait pas passé, comme si c’était hier, tant nous avons eu le temps de bien nous connaitre et nous apprécier.
Notre patron (respecté et bien-aimé) est à la retraite depuis un bon moment, et parti au soleil. Justement, je viens d’avoir l’audace de le chercher à 1000 kilomètres et de l’inviter à diner dans quelques mois avec quelques uns de ses élèves. Et nous nous réjouissons de rencontrer ce patron grâce à qui nous avons tous pu tracer des chemins de réussite aussi variés que positifs.
A propos de rendez-vous, bientôt un prochain billet? Je me morfonds un peu moi
C’est vraiment une honte de faire cela! courage!
Vert anglais ??? Et c’est avec celle là que tu t’es retourné ou bien ?