Le travail, c’est la santé
À la tête qu’elle fait en salle d’attente, je sais déjà qu’elle ne vient pas pour une angine ou sa contraception. Ses yeux sont rivés sur ses chaussures, et quand elle les lève vers moi quand je viens chercher le patient suivant, elle ressemble à un animal pris dans les phares d’une voiture, en pleine nuit.
Quand son tour arrive, elle reste quelques minutes assise, muette, incapable de mettre des mots sur ce qui l’amène.
Et puis ça déborde, elle pleure à chaudes larmes, sans pouvoir encore parler. Elle s’excuse entre deux sanglots, elle n’a rien a faire là, elle n’aurait pas du venir, je ne pourrai rien faire pour elle.
À force de réassurance, je finis par en savoir plus. C’est le boulot, sa chef est tout le temps sur son dos, lui donne trop de travail, passe ses nerfs sur elle, même quand elle fait le maximum. Elle sait que je ne peux rien y faire, mais elle n’en peut plus. Elle ne dort plus, a perdu 4 kg, se lève la boule au ventre à l’idée d’aller travailler.
Elle ne voit pas de solution, elle a déjà changé de boîte il y a peu, elle ne peut pas se permettre de perdre son emploi. La DRH ne la reçoit qu’en présence de sa chef, ce qui la terrorise et la laisse sans voix.
Elle est morte de culpabilité en me demandant un arrêt pour quelques jours, pour prendre du recul et récupérer un peu de sommeil.
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Il était routier, mais son problème d’alcool lui a valu de se retrouver au placard, dans un poste sans intérêt ni perspective d’évolution. Ça fait 2 ans qu’il est abstinent, et ça n’a pas été facile. Mais ça lui colle à la peau. Au boulot, dès qu’il se plaint, dès qu’il demande quelque chose, on lui rappelle, par sous entendus, qu’il n’est pas là par hasard, qu’il l’a bien cherché.
Il est à bout. Après tous ces efforts pour ne plus toucher à l’alcool, il se sent bien peu récompensé. Ça lui donne d’autant plus l’idée de s’y remettre, comme ça au moins il méritera son sort, avec le bénéfice secondaire de l’ivresse.
Comme il n’a pas sa langue dans sa poche, les échanges sont vifs avec son supérieur, mais aujourd’hui, c’est allé trop loin, ses mains tremblent quand il me raconte les événements du matin. Si ça continue comme ça, il va en venir aux mains, ou se remettre à boire, et il sait combien ni l’un ni l’autre ne seront à son avantage.
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Elle est infirmière, mais ça fait 3 mois qu’elle est en arrêt. Sa faute, c’est d’être amie avec une infirmière du service du dessus, qui a détourné le médecin chef de son mariage. Ça déplait beaucoup à sa cadre, qui lui en fait baver, jusqu’à ce qu’elle soit venue en pleurs me demander de l’aide. Rien de grave, selon le cadre sup, mais c’est l’accumulation. Les plannings qui changent sans arrêt, les dates de vacances jamais respectées, les petites réflexions, les initiatives brisées dès le départ, l’absence de soutien de ses collègues qui tremblent de recevoir le même traitement si elles s’insurgent.
Tous les 15 jours, quand son arrêt de travail approche de la fin, elle se remet à pleurer, à avoir mal au ventre, aux mâchoires, tellement elle serre les dents, même dans son maigre sommeil. Elle se renferme, crie après ses mômes pour un rien, ne parvient plus à susciter la bienveillance de son entourage qui finit par penser que ça l’arrange bien, de ne pas aller bosser.
Le médecin du travail de l’hôpital n’y fera rien, admettant en entretien que cette cadre est connue pour sa perversité, qu’il n’y peut rien, que d’autres sont passés par là et ont jeté l’éponge en changeant de service.
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Elle est en CDD et elle sait qu’on lui pourrit la vie pour qu’elle démissionne, avant d’avoir un contrat plus favorable.
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Elle est secrétaire de 3 avocats, et sait que l’annonce de son congé maternité prochain n’a fait qu’aggraver les remarques sur le retard dans son travail déjà colossal.
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Je suis sincèrement, profondément inquiet devant le nombre croissant de patients que je ramasse à la petite cuillère à cause de leurs conditions de travail.
Qu’on traite comme des larbins.
Qu’on menace sans cesse d’être remplacés par les 15 autres qui n’attendent que ça de leur prendre leur job.
Qui petit à petit, en viennent à supporter l’intolérable, parce qu’il faut bien,payer le loyer.
Parce qu’ils ne savent rien faire d’autre.
Parce que le conjoint ne paye jamais la pension.
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Une des infirmières de l’hôpital où je travaille a fait une tentative de suicide l’année dernière, à force d’insinuations sur sa responsabilité dans certains événements du service, alors que c’est selon la moi la plus rigoureuse de l’équipe.
Je me sens assez impuissant devant ses situations qui se multiplient. Les médecins du travail ne semblent pas pouvoir y faire grand chose. L’inspection du travail, les prudhommes auront ils plus de recours? Mes patients déjà plus que fragilisés, refusent en général de se battre, craignant d’attirer encore plus les foudres de leur hiérarchie qui ne les soutient pas, voire les enfoncent un peu plus chaque jour.
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J’ai lu une citation attribuée à John Lennon récemment sur Twitter. À la question « que veux tu être quand tu seras grand? », il aurait répondu « heureux ».
Je veux bien concevoir que c’est plus difficile de se sentir épanoui dans certaines professions, mais quand le malaise vient directement des conditions des travail, sciemment dégradées par des personnes malveillantes profitant des gens vulnérables qui sont sous leurs ordres, ça me désespère.
Écouté active, arrêt de travail, parfois traitement anxiolytique ou antidépresseur, mes faibles armes devant ces consultations que je ne compte plus, et qui me laissent un goût amer d’impuissance.
ça doit être frustrant pour un médecin, de ne rien pouvoir réellement faire pour ces patients, à part les arrêts maladies, les anxiolithiques et l’écoute … ma généraliste, plus jeune que moi, et visiblement désemparée à ma 1° crise de larmes dans son cabinet, était effarée du manque de réactivité de ma médecin du travail … mais moi, je la comprenais ma médecin du travail, car pour un autre problème de harcèlement, mon employeur avait mis fin au contrat qui le liait à la précédente boite de médecins du travail qui nous suivait depuis 10 ans, sous prétexte qu’ils avaient été trop « coulants » (et perdre un pool potentiel de 600 visites médicales par an à cause d’une employée fragile et sans doute hystérique, ça la foutait mal …)
Heureusement que grâce à un reportage télé, j’ai découvert le service de pathologie du travail de Créteil, que je n’ai attendu que 2 mois pour avoir un rdv et qu’à la 1° séance, à travers mes larmes, grâce aux explications limpides du docteur j’ai soudain compris les rouages de la machine qui m’avait à moitié broyée … et surtout que CE N’ÉTAIT PAS DE MA FAUTE !!!
Depuis, ça va mieux (surtout que j’ai gagné contre mon employeur aux Prud’hommes, non pas pour « harcèlement moral », trop difficile à prouver, mais pour une bête [mais majeure] erreur administrative dans mon licenciement pour inaptitude ! ça a pris 3 ans mais quelle victoire !!!) même si a révélé d’énormes failles dans ma confiance en moi, et une grande méfiance face à mes employeurs suivants, la reconstruction a été lente, et continue encore … Mais ça m’a permis de me réorienter dans le médico-social, où je me sens réellement utile, même si dans l’absolu, j’aurais beaucoup aimé travailler dans ce service de pathologie du travail, ou une association, pour venir en aide aux personnes qui passent par là, avant qu’il ne soit trop tard …
Désolée pour la longueur du commentaire, mais ce texte m’a beaucoup touchée, et je voulais témoigner qu’on pouvait s’en sortir.
Un psychiatre en a fait sa spécialité Christophe Dejours (http://fr.wikipedia.org/wiki/Christophe_Dejours).
Des pathologies inconnues il y a encore quelques années ont fait leur apparition dans le monde du travail. D’après lui : « L’organisation du travail agit sur le mental. Au plan de la division des tâches entre opérateurs toujours encadrées par des procédures, des règles, des gammes, des prescriptions qui séparent le travail, qui disent ce qu’il faut ou ne pas faire. L’organisation du travail c’est aussi tout le dispositif de contrôle de l’exécution des ordres : surveillance, contrôle, encadrement, hiérarchie. C’est le dispositif de contrôle des comportements productifs et de l’ordre social, la discipline dans l’entreprise. Bref, les pathologies mentales du travail surcharge (burn out, karoshi), troubles musculosquelettiques, harcèlement et suicides coûtent 3 à 6 % du PIB selon les pays. »
Et oui, si on a une certaine vulnérabilité, l’entreprise est une machine à brouiller.
Merci pour ce texte.
euh je voulais dire « machine à broyer »…
Situations de plus en plus nombreuses selon moi. Travailleurs pressés de plus en plus comme des citrons et menacés. Hier encore, 23 ans, harcelée par patron, épuisée « je suis partie parce qu’il m’a menacé de me licencier pour faute grave si j’attaquais aux prudhommes et là, j’aurai jamais pu retrouver un boulot après ». Oui, mais là, elle n’en a toujours pas retrouvé du boulot. Aurait-elle mieux fait de se battre?
Toutes les semaines, tellement nombreux à craquer…
Et cette impuissance qui comme à toi me tenaille le ventre…
Il m’arrive de pester contre les inconvénients du statut libéral et puis je lis des billets comme le tien et je me dis que je suis contente d’être sortie du salariat et de ce système qui broie les gens.
Pour ce qui est du sentiment d’impuissance, tes patients ont au moins la chance d’avoir trouvé quelqu’un qui sait les écouter et les aide au mieux.
Idem chez moi. Femmes en pleurs, mal aux dos, accidents de travail non reconnus. Et le nombre de CMU qui remonte.
La crise qui favorise les prédateurs.
Et les médecins conseils qui, souvent, considèrent les patients dépressifs ou lombalgiques comme des suspects et non comme des patients. Un peu de bienveillance serait appréciée.
Je ne suis pas médecin, juste lectrice silencieuse (d’habitude) de ce blog. Plus que le billet, ce sont les commentaires qui me font réagir..;
Le harcèlement, à vous lire, ça ne peut être que celui d’un supérieur hiérarchique sur son subalterne. Mais c’est trop facile, trop réducteur. Que penser de ces collaborateurs qui ont pris l’ascendant sur leur supérieur hiérarchique, qui le soumettent à une pression quotidienne ? Ils savent pertinemment qu’il n’y aura pas de sanction, puisque ce qu’ils font n’est pas reconnu comme du harcèlement, c’est à leur chef qu’ils s’en prennent et ça, « c’est normal »… On peut dire ce qu’on veut à son chef, l’insulter, le menacer si besoin, le rendre responsable de tous nos maux, c’est juste normal, c’est lui le chef, il est là pour ça. Mais est-ce que ces personnes se sont simplement mis une seconde à la place de leur chef, ont-ils essayé de comprendre son dilemme, entre ces objectifs « ambitieux » fixés par une hiérarchie lointaine et son envie de faire plaisir à son équipe, à ces collaborateurs qui refusent tout compromis, toute remise en cause de leur petit train-train si rassurant ?
Bien sur, il y a des abus de la part de certains cadres, je ne les sous-estime pas mais il existe aussi, de plus en plus, des personnes qui croient qu’au boulot, elles ont tous les droits et quasiment aucun devoir, que le travail doit se faire sans aucun effort et qui parlent de harcèlement dès que l’on veut leur imposer une tâche qui ne leur plait pas mais qui est pourtant dans leurs attributions. Face à ce genre d’attitude, que peut faire un cadre intermédiaire, sinon se taire, serrer les dents et se débrouiller pour que le boulot soit fait sans faire de vagues? Parce que les vagues, c’est mal vu par la hiérarchie, ça prouve que vous êtes un mauvais chef. Alors, ça se traduit par une surcharge de boulot, puis un burn-out qui ne veut pas dire son nom, puisque une fois encore, ce n’est pas pour les cadres, ce genre de maladie…
Je comprends la frustration des médecins face à ces patients qui se plaignent de plus en plus de leurs problèmes au boulot, votre sentiment d’impuissance que je partage parfois mais je m’interroge aussi sur votre vision des choses, bienveillante certes, mais parfois tellement partiale qu’elle en devient trop compatissante au point de conforter ces patients sur leur bon droit à se plaindre de ce chef tyrannique qui ose leur demander de travailler pendant les heures de boulot au lieu de les laisser discuter entre collègues ou naviguer sur Internet. Tant que ces patients-là obtiendront des arrêts de travail aussi facilement que s’ils demandaient des bonbons, le harcèlement au travail sera décrédibilisé et ne pourra jamais être reconnu comme un phénomène inacceptable devant être sévèrement puni;
Les situations de détresse sont ubuesques. On accuse les managers. Mais leur caractère confinant à la perversité n’est pas un hasard. Pour les postes dits je crois « intermédiaires », les personnalités choisies sont des gens mal formés en management et aucunement formés à la psychologie de l’humain. Censés gérés les personnes qui se trouvent sous leur responsabilité, ils sont en permanence obligés de rendre des compte à leurs supérieurs, dont la vision primordiale est la rentabilité. On comprend alors aisément que ces cadres intermédiaires ne sachent pas assumer correctement la plupart du temps la gestion des personnes qui travaillent sous leur controle, tant ils sont eux même sous pression, et loin de toute notion de management de l’humanité de leurs collaborateurs.
Je vous souhaite bcp de courage quand vous vivez cela, pour vivre une situation délicaet aussi dans mon entreprise, je sais que le médecin est la personne à qui ont peut encore faire confiance.
On sait aussi qu’il n’y a pas grd chose que vous pouvez faire, un congé maladie, un anti depresseur ou calmant mais ca ne change pas le fond du pbm, mais juste de vous parler c’est le début de la reussite.
Les médecins devraient se réunir pour trouver des solutions concrètes pour gerer ces situations, il devrait y en avoir, a voir avec le ministere du travail et la médecine du travail peut etre aussi !
Bizarre bizarre, ce genre de situation me rappelle vaguement quelque chose… voyons voir que je réfléchisse…
Bon, maintenant j’en rigole, mais y’a quelques mois je rigolais pas autant. Ce que tu décris est hélas de plus en plus répandu je crois, comme dirait Mme Grand-Chef y’a 3 millions de chômeurs qui attendent la place alors bon, les états d’âme du petit travailleur… Heureusement, parfois on tombe sur un médecin qui écoute, qui rassure, qui propose un arrêt… mais le truc que tu dis pas, c’est que finalement, l’arrêt, on hésite à l’accepter, parce qu’il y aura des conséquences derrière…
Bonjour,
Je reviendrais sur ce que dit Lerna, effectivement, il y a aussi du harcèlement vers le « Chef ». Mais lui aussi a le droit de consulter son médecin autant que l’employé. Personnellement, je ne connaît pas beaucoup de médecins qui distribuent les arrêts comme des friandises (d’autant qu’ils sont très contrôlés ils me semble). Généraliser un comportement d’un médecin à tous ses confrères est très dangereux car ce type de discours peut amener à ce que vous semblez craindre Lerna : la désensibilisation autour du phénomène de harcèlement.
Courage aux généralistes ayant, le temps d’une consultation, à recevoir le mal être et à le gérer …
Si tu veux je te donne ma plaquette commerciale tu en mets un tas sur ton bureau !!!
Clémentine, J’ai vu passer 3 personnes différentes, avec 3 médecins différents, qui donnait des arrêts de travail à la moindre demande de leur patient alors que je savais que la cause n’était pas lié au boulot (ex : « je déménage, mais je n’ai plus de jour de congés », « j’ai un concours de danse »… Je jure que je n’invente rien !). Mon propre médecin traitant distribuait aussi très facilement des arrêts de travail quand je l’ai connu, une de mes collègues en usait souvent, moi j’ai clairement dit ma façon de penser l
Je continue…
J’ai clairement dit ma façon de penser la première fois qu’il m’en a proposé un. Il ne m’en a jamais reparlé, et puis, avec ce durcissement des contrôles, il en distribue moins facilement.
Je ne veux pas généraliser, j’ai connu des médecins contre ce genre de pratique et ils sont sans doute en majorité. Mais force est de constater qu’aujourd’hui beaucoup refusent la notion d’efforts et d’obligations. Et la complaisance de certains médecins les y encourage.
Quant à consulter son médecin quand on est harcelé par un subalterne… C’est difficile, car s’en prendre à son chef quand ça va mal, c’est devenu tellement normal… Personne ne prend ça au sérieux. Un de mes collègue vient de tenter de se suicider à cause de ça, ce n’était pourtant pas faute d’avoir prévenu hiérarchie, médecin personnel et médecin de travail… Une autre essaye de régler ce même type de problème tout en traitant son cancer? S »
Harcelée ou feignant ? C’est une drôle de perspectives, lerna… Mais qd je vois comme les conditions de travail se dégradent, je ne me pose pas la question….
Je prends le fil bien tardivement, excusez-moi, mais ne peux m’empêcher d’ajouter un mot (ou deux !).
Un sujet de master II (recherche ou pro) qui m’a été refusé par mon employeur (évidemment, mais j’avais besoin de lui pour manger !) bien qu’accepté par la fac : « organisation du travail; management et pouvoir en France : un enjeu de santé publique ». Merci à vous tous, médecins généralistes d’abord et psychiatres ensuite parce que vous savez passer la main (c’est le cas de le dire !)…
Le harcèlement au sens juridique récemment re-qualifié, ou plus pervers et inqualifiable fait des ravages. Salariés et fonctionnaires, ces derniers soit-disant « protégés » mais tellement exposés. Protégés pendant trois ans de congé maladie de longue durée puis… à la rue ou à l’hôpital s’ils ne sont pas rentiers ? Trois ans pour une carrière (sans remise à zéro des compteurs comme dans le régime général). L’échéance arrive vite.
Une spécialité bien française !
Bonjour,
moi aussi j’interviens quelque peu tardivement, mais qu’importe.
Je comprends parfaitement le sens de l’article et les commentaires – légitimes – qui y ont été associés.
Mais je crois également bien comprendre le point de vue de Lerna.
Je suis pour ma part juriste en droit du travail pour un cabinet de conseil aux entreprises. Alors attention, mon boulot n’est pas de défendre les patrons coute que coute, mais de faire en sorte qu’il applique au mieux la législation du travail et, partant, qu’il protège au mieux ses salariés, ainsi que le souhaite notre bon vieux Législteur.
Tout ça pour dire que je ne suis pas la dernière à tenter de calmer les ardeurs de ces employeurs qui, souvent excédés, à ort ou à raison, seraient bien tentés de mettre à la porte certains de leurs salariés pour un oui ou pour un non.
MAIS il n’en demeure pas moins que nombre de salariés ont bien appris à profiter du système, et là où ça me révolte, c’est notamment au regard des arrêts de travail dits de complaisance.
Quelques exemples pour illustrer mon propos :
- un salarié a un accident de travail il y a 5 mois suite à une chute dans un escalier. Arrêté à juste titre 4 semaines. Suivi ensuite par le médecin du travail. Tout va bien. Il fait il y a 2 semaines un « faux mouvement », entrainant juridiquement une « rechute » au titre de son accident de travail. Le médecin du travail, qui connait son dossier et ses conditions de travail, décide de l’arrêter 10 jours. Salarié insatisfait. Qui va voir son psychiatre (oui, son psychiatre ! pour un problème moteur) qui lui, accepte de l’arrêter 3 mois. Na.
- Un salarié (et quand je dis un, j’ai en fait rencontré plusieurs fois ce cas de figure) commet une faute. Convoqué à un entretien préalable à sanction. On lui notifie une mise à pied disciplinaire de 3, 5, 10 jours. durant laquelle il n’est donc pas rémunéré, c’est le principe de la mise à pied. Le salarié va voir son médecin. Obtient un arrêt de travail couvrant la période de mise à pied. Pour peu qu’il ait un an d’ancienneté et droit au maintien de salaire, il sera finalement payé à rester chez lui durant sa mise à pied.
Je vais m’arrêter là, en espérant avoir fait passé le message escompté. Si tous les patrons ne sont pas des saints, les salariés non plus. Et les médecins, je me console en me disant qu’ils sont simplement manipulés…
Mon propos n’était évidemment pas de montrer du doigts les patrons, vils oppresseurs des salariés victimes impuissantes pieds et poings liés par la crise.
Ce serait trop facile.
On a très bien décrit que quelqu’un qui se blesse au travail ne va pas gérer sa blessure de la même façon que s’il s’est fait le même traumatisme en bricolant chez lui. Les conséquences lui semblent forcément moins faciles à accepter.
Les exemples choisis auraient du être plus exhaustifs peut être, le travail est source de souffrance à tout type de poste, c’est la fréquence de ces situations et leur intensité qui me frappe.
Il y a aussi ceux qui souffrent de ne pas avoir d’encadrement précis, de devoir toujours s’adapter, rajouter des cordes à leurs déjà multiples arcs, parce qu’il/elle est « cadre », et un « cadre », ça s’adapte, ça ne demande pas à rattrapper ses heures, ça ne sait d’ailleurs pas compter les heures…
Bonjour,
Je découvre ton site via un lien sur le blog de Jaddo, Dr Gécé ou Borée je ne sais plus … je réagis donc un peu tardivement à ce post.
Je suis médecin du travail. Ce que tu décris c’est également mon quotidien. Même si nos possibilités d’action sont minimes on peut tout de même arriver à améliorer la situation:
-Par une prise en charge individuelle pluridisciplinaire (médecin traitant, médecin du travail, psychologue du travail, assistante sociale …)
-Mais aussi collective car on va s’attacher à évaluer un collectif de travail
Nous avons le devoir de rappeler à l’employeur qu’il est le garant de la santé mentale de ses salariés et qu’il doit agir pour prévenir toute dégradation de celleci au même titre que la santé physique.
Se mettre en lien avec nous permet aussi parfois de débusquer des salariés qui auraient un double discours pour obtenir des arrêts de travail de complaisance …
En dernier recours on peut déclarer l’inaptitude au poste de travail qui permet de quitter un poste à l’origine d’une souffrance morale.
Bon courage et peut être à bientôt.
Bonjour,
Pour clore la polémique que j’ai involontairement lancée il y a 6 mois, voici quelques nouvelles :
- mes 2 derniers agents « feignants » (pour reprendre le terme de lom) ont été virés et remplacés par des personnes qui acceptent de travailler, de recevoir des consignes et des reproches quand ils sont justifiés. Vous n’imaginez pas combien ça change la vie de travailler avec des gens qui ne posent pas malade pour un rien (pourtant, l’une de ces personnes pourrait facilement se mettre en arrêt). Au passage, vous aurez compris que je suis fonctionnaire, et reconnaitrez que pour qu’un fonctionnaire soir viré, il faut vraiment qu’il ait abusé !
- Ma hiérarchie a découvert avec stupeur il y a 4 mois que j’étais au bord du gouffre, et que faire le boulot de 3 ou 4 personnes pouvait user à la longue les meilleures volontés. Ils ont enfin accepté de reconsidérer ce qu’ils prenaient jusqu’alors pour des « états d’âme sans conséquences » et de me laisser le temps de former mes agents pour me décharger de tout ce travail qui n’est pas le mien avant d’envisager de me confier de nouvelles missions. C’est un combat de tous les instants, mais on y arrive.
- Le changement de direction, et avec elle la meilleure prise en compte du « mal-être » au travail a sans aucun doute incité ma hiérarchie à être plus présente et plus à l’écoute. Ça a été bénéfique pour tout le monde… Comme quoi, il suffit parfois de pas grand chose pour tout changer.
- Le médecin du travail ignorant visiblement mon existence (pas eu de visites médicales depuis mon arrivée dans ce service il y a 4 ans… par contre, mes nouveaux agents, oui !), je ne compte pas sur son aide.
Je ne lui en veut pas, difficile d’assumer seul la charge de 2 (au moins) médecins du travail (le 2nd poste est vacant, avis aux amateurs en IdF).
- En revanche, l’aide de mon psy est précieuse. Je remonte peu à peu la pente, et me montre de plus en plus combative. Ce n’est pas toujours du goût de mes chefs, mais ils vont s’y faire. Je ne désespère pas de quitter un jour le club des 30% de fonctionnaires de mon Ministère qui bossent plus de 10h/jour et celui des 50% qui bossent plus de 48h/semaine (chiffres très récents issus d’une enquête de nos syndicats) <- ça, c'est pour ceux qui pensent que les fonctionnaires ne font même pas 35h par semaine. :-p
- Quant à mon médecin traitant, il reste à l'écoute de la patiente difficile que je suis. Il a accepté l'arrêt des médicaments dont je me passe très bien (j'avoue que je ne lui ait pas vraiment laissé le choix) et aussi le fait que le jour où j'accepterai un arrêt de travail, il devra sérieusement s'inquiéter pour moi…
Entre salariés et patrons (ou indépendants) , c’est à qui racontera sa plus « belle » histoire de harcèlement, avec en refrain « je travaille, moi ».
Pour changer, en voilà une émanant de qqun qui « ne travaille pas » – un inactif, un feignant, un parasite, un chômeur quoi !
Au fait, Doc, c’est pas « 15″ chômeurs qui attendent la place du travailleur harcelé c’est 150, sélectionnés parmi les 500 ayant envoyé leur cv, dont 250 envoyés because si un « demendieur d’emploi » n’envoie pas au moins 2cv/jour on suspend son indemnisation chômage pour cause de « preuves de recherches d’emploi insuffisantes ». Commentaire « réconfortant » lors des convocations de contrôle: » vous êtes tenu de chercher de l’emploi, pas d’en trouver » (sic).
L’histoire ? Epuisé physiquement et moralement de courir sous les ordres du bureau de placement après un boulot qui n’existe plus et avant de basculer dans la dépression/le pétage de plomb (les 2 sont cumulables), un chômeur demande un arrêt maladie.
Le généraliste fatigué (qui bosse, lui/elle)soupire: « vous savez je n’ai pas de solution ». Mais il/elle connaît le patient-chômeur qui, au temps « heureux » où il bossait, arrivait épuisé 2 à 3x/an au cabinet et demandait 1 sem d’arrêt maladie justifiée par mégalaryngite à causes multiples (horaires décalés, stress, airco « bouillon de culture » du bureau, charge de travail accrue par collègue régulièrement « malade » sous certif de complaisance mais couvert par la hiérarchie). Donc le généraliste délivre sans (trop de) culpabilité qq semaines de répit dans la traque, avec conseil de parler à un psy.
Dr psy (qui travaille, lui/elle)
1) déclare au patient: « ns sommes tous des névrosés »
2) prescrit comme seule solution vraiment efficace 8 à 10 ans de divan pour le patient, et donc de revenu pour Dr psy.
Question (im)pertinente : au prochain contrôle des efforts de recherche d’emploi, qui, du psy ou du chômeur, passera pour un profiteur ???
je viens de lire ce billet, et je voulais te rassurer et remercier les médecins traitants qui sont là lors de ses difficultés. Je n’ai rien vu venir, mais mon médecin traitant oui. Patiemment, il m’a écouté. Au fils des consultations, il m’a fait entrevoir les mécanismes qui se mettaient en place. Il a essayé de me faire accepter les arrêts de travail (même si je ne l’ai pas écouté) et il m’a tendu la main, juste avant le passage à l’acte(heureusement évité). Il a su désamorcé la culpabilité et me diriger vers une cellule d’aide santé et travail.
Alors vous médecin, si vous avez cette boule en pensant ne pas en faire assez pour nous patient, détrompez-vous. Heureusement que nous vous avons…