De la sédation terminale
Joël a un cancer.
Ou plutôt il en a deux.
Au départ un sarcome du fémur, contre lequel il a tenu bon grâce aux traitements, puis un cancer du poumon, indépendant, une deuxième saloperie du destin, qui celui ci ne répond pas à la chimiothérapie, et voyage dans son organisme en laissant des traces dans le foie, les vertèbres, les côtes, et j’en passe.
Ses intestins se sont bloqués, il n’avale plus rien, ou le vomit 1/2h plus tard.
La morphine calme moyennement ses douleurs, mais peu son angoisse et ses difficultés respiratoires, car il s’encombre de plus en plus.
Depuis un certain temps, j’ai parlé avec lui de sédation terminale, au moment où les symptômes ne répondront plus aux traitements, et où être plongé dans un coma artificiel, même modéré, restera la seule solution pour mourir sereinement.
Le jour où sa famille et lui ont accepté de mettre en route ce traitement, je suis revenu en salle de soins, et j’ai annoncé la décision aux infirmiers. Quelle ne fut pas ma surprise de les voir non seulement réjouis de cette prise de décision, mais se chamaillant presque pour savoir lequel irait m’accompagner pour la titration(1) et brancher ensuite le pousse seringue sur la perfusion de Joël.
Cette réaction m’a rappelé une discussion que j’avais eu quelques années plus tôt avec une infirmière du premier service où j’ai balbutié comme interne, devenue une amie depuis.
C’était un service de cancéro, dans un hôpital périphérique, plus grand cependant que l’hôpital local où je sévis actuellement.
Les patients accueillis étaient sensiblement les mêmes. Sur 6 mois de stage, je crois ne pas avoir géré plus de 3 ou 4 sédations terminales, alors que dans mon service actuel, qui ne comporte que 4 lits de soins palliatifs, c’est assez régulier, pour ne pas dire fréquent.
Chaque fois, les infirmières vivaient mal cette sédation, ayant l’impression d’euthanasier les patients.
L’enthousiasme de mes deux compères ce jour là contrastait avec cette image que j’avais gardé de l’époque.
Je les interroge sur leur humeur primesautière qui ne me semble pas convenir a la situation. Leur réponse est simple, sachant le pronostic sombre pour Joël, la difficulté de contrôler les différents symptômes qui jalonnent ses journées entre l’inconfort et le tout juste tolérable, le midazolam est pour eux une délivrance, l’assurance de lui apporter repos et sérénité, de ne plus voir ses faciès crispé avant même qu’on rentre dans la chambre pour le réinstaller dans son lit. C’est aussi permettre à sa famille de le voir détendu, de garder une image moins ancrée dans la souffrance pour les dernières heures qu’ils auront à passer avec lui, même s’il pourra plus difficilement communiquer avec eux.
Pourquoi alors ce geste n’était-il pas vécu de la même façon dans un service de cancéro, avec des infirmières encore plus rodées à l’accompagnement des personnes en fin de vie (dont certaines m’ont bien plus appris que le chef de service à l’époque)?
Je pense que ce sont les modalités de la prescription et de la réalisation de la sédation qui entraînaient cette sensation d’être un bourreau apportant la mort en injectable.
Probablement le médecin du service ne devait pas se sentir à l’aise avec la sédation, n’en parlait que très peu avec les patients ou les familles, et jamais par anticipation. La décision était toujours prise tardivement, de façon unilatérale, dans des situations plus que terminales, avec un décès rapide dans les heures suivantes. Je ne crois pas avoir vu le médecin présent lors de la titration, n’assumant pas pleinement cette décision, laissant l’infirmière aller au charbon seule, simple exécutante de ce geste ressenti par elle comme par la famille et le patient s’il en avait encore les moyens comme une euthanasie active.
En lisant dernièrement les articles sur la sédation terminale dans les thématiques Prescrire, j’ai été conforté dans ma pratique de ce geste, et dans son intérêt lorsqu’il est bien réalisé.
En parler avec le patient et la famille, avant d’en avoir besoin.
L’expliquer, pour faire la différence avec l’euthanasie.
Prendre la décision avec l’équipe, et la famille, voire le patient s’il en est encore capable.
Être présent au moment de l’instauration.
Continuer à être attentif au reste, une fois le traitement mis en route, parce que ça ne précipite pas toujours le décès.
Et laisser aux familles et aux soignants le soulagement d’avoir pu accompagner un patient apaisé dans ses dernières heures.
(1) La titration, lors de l’instauration du traitement, c’est l’injection du médicament sédatif par doses régulières et progressives, pour trouver la dose suffisante pour obtenir les effets attendus, différente pour chaque patient.
Je te remercie pour ce billet. Merci d’en parler. C’est jamais facile comme décision, mais on a la chance de pouvoir « choisir » et ça, c’est vraiment, vraiment important.
bravo, c’est très bien expliqué et reflète la pratique que nous avons dans notre service avec un vécu du personnel infirmier et médical assez proche.
Beau texte. Très clair. Très apaisant. Je le relaie.
MW.
Merci, honoré je suis!
Réfléchir au vécu de chacun de certaines situations permet une bien meilleure prise en charge, tout comme anticiper au lieu d’attendre que la situation soit si dégradée que tout devienne plus compliqué.
Et c’est bien de désacraliser ces méthodes.
Bizous
Je ne vois pas la différence avec l’euthanasie…il va falloir que j’étudie ça de plus prés donc.
Pour l’euthanasie, il y a réunion de médecins et décisions collégiales, et là non?
La différence, c’est que le midazolam ne tue pas les gens, il ne fait que les endormir, en attendant que la mort vienne d’une autre cause.
Quant à la décision du traitement, il n’y a pas d’obligation légale comme pour l’euthanasie en Belgique où l’avis de plusieurs médecins est nécessaire, mais il est d’usage de prendre cette décision en accord avec le patient s’il en est encore capable, la famille et l’équipe soignante.
bonjour
je decouvre ce blog par hasard
et je decouvre egalement « la sedation terminale »
honte à moi ,apres 9 ans d’installation
Des possibilites en ville ?
Des liens pour me cultiver un peu ?
merci
Désolé pour le retard de réponse.
La sédation par midazolam est possible à domicile, une forme peut être délivrée en officine (le VERSED), mais la mise en place est réservée aux équipes formées à cela, HAD ou équipe mobile de soins palliatifs.
J’essaye de vous retrouver les références d’un article qui reprend ça dans la revue Perscrire prochainement.
Dans la revue Prescrire de sept. 2012, tome 32, n°347 page 713, il y a un assez bon résumé de ce qui est faisable à domicile.
ça parait presque simple en vous lisant. Infirmière à domicile, je suis régulièrement amenée à faire des soins à des personnes qui pour moi s’apparentent à de l’acharnement. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Je ne sais pas trop, le patient revient à son domicile sans que je puisse savoir ce qui c’est passé en amont, donc difficile de juger et de comprendre. Néanmoins, j’ai le sentiment que l’on ne parla pas assez à la famille et pour eux ce qui compte c’est que la personne soit encore là, c’est tout. Mais on fait quoi là ? Je fais des soins, je ne comprends rien… C’est difficile, il faudrait un billet entier pour en parler. Merci pour votre article, votre blog est d’une grande richesse.
2 ans après le décès de mon mari je viens seulement de comprendre … Il a subi une sédation terminale .
On nous a dit : nous allons l’endormir pour lui faire certains examens .
Au bout de 24 h , son état ne permettait plus le réveil ….
À t il été informé de ce qu’on allait lui faire et que cela serait définitif ?
Pourquoi ne nous a t on pas dit clairement les choses ?
Merci de me répondre car ces questions me hantent.
La sédation n’a pas pour but que le décès soit plus rapide. Le médicament le plus souvent utilisé a une durée d’action courte, et la diminution de la dose doit faire revenir le patient à son état de conscience antérieur rapidement.
Parfois, l’état du patient est si instable, au niveau du contrôle des symptômes (douleur, angoisse) qu’il est préférable qu’il soit endormi de façon artificielle.
Il arrive enfin que certains patients « s’accrochent » en fin de vie, mais que la ses. Action fasse tomber ses barrières de défense, avec un décès qui arrive quelques heures après le début de la sédation, mais qui serait survenu quelques jours après sans cela.
Hello cher ami,
Au détour de mon stage de fin de D4 en soins palliatifs, je découvre la « sédation terminale », en plus de plein d’autres choses.
J’en tire deux conclusions :
Il est triste que je ne découvre ça qu’après 4 ans d’externat, alors que j’ai déjà été confronté à des décès de patients en fin de vie. Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine auprès des soignants ET des soignés.
La deuxième, c’est que je déteste le terme sémantique utilisé. Je trouve que « sédation terminale » est un nom très fort, et très susceptible de s’apparenter à une euthanasie dans l’imaginaire collectif. Même si bien sûr le travail du médecin quand il discute de cette éventualité avec son patient ou ses proches est bien d’en préciser les modalités et la finalité. D’autant plus que parfois, même si c’est rare, cette sédation n’est pas nécessairement terminale, et permet juste de passer un cap difficile sans que le patient ne souffre. Je crois qu’il faudrait réellement requalifier cette pratique avec des mots plus justes.
Bises.
D’accord avec toi. C’est un terme que j’utilise d’ailleurs rarement avec les patients et les familles, j’insiste également souvent sur le caractère très facilement réversible de la sédation par le midazolam, permettant de retrouver si besoin un contact de meilleure qualité si besoin lors de la visite des proches et à distance des soins douloureux.
voir que les soins palliatifs avancent…………ca fait plaisir.Je suis ide en usp et la philosophie de soins et d’approches evoluent !!! merci aux medecins qui s’y interressent!!!
Merci pour cette explication claire de la différence entre sédation et euthanasie. Cela dit je croyais qu’on parlait de sédation en phase terminale et non terminale précisément.
Pour les curieux, accompagnant en soins palliatifs j’ai ouvert un blog pour partager des histoires de vie.
http://www.vivantsensemble.com
Bonjour
Médecin à la retraite, je suis confrontée à la fin de vie très douloureuse de ma belle mère en EHPAD.96 ans,lasse de vivre et très dèpressive malgré un environnement familial très présent.Elle refuse de s’alimenter depuis 15 jours et de boire depuis une semaine (fausses routes ou bien elle recrache tout).Elle se plaint que « c’est long », appelle sans cesse sa mère, souffre beaucoup moralement.Son méd cin traitant a prescrit un patch de Durogésic et du Séresta si agitation, mais comme elle n’avale plus rien, cela ne sert à rien.Elle n’a pas de perf( elle les arrache).Comment dans ce contexte ,pensez vous que l’on puisse soulager sa souffrance? Sachant que je peux dicuter très confraternellement avec le médecin traitant.