La visite du lundi
Elle parle, elle parle, elle ne s’arrête plus.
Faut dire que c’est rare, d’avoir une nouvelle personne à qui raconter sa vie.
Au début, elle ne voulait pas que je vienne. C’est l’aide ménagère qui a demandé la visite. Elle a rappelé la secrétaire pour préciser qu’elle ne m’ouvrirait peut être pas, ou qu’il ne faudrait pas que je m’attende à ce qu’elle soit agréable.
Finalement, elle a ouvert.
Un peu sur ses gardes au début, puis rapidement, elle m’explique.
Son fils unique, avec qui elle est fâchée, qui l’a virée de sa propre maison il y a 10 ans, qui lui a promis de la faire mettre sous tutelle si elle lui cherchait des noises.
Le délibéré du tribunal est là, sur la table. Elle me demande de le lire, en entier, pour comprendre pourquoi elle en est là. Pourquoi elle ne fait plus confiance à personne.
Depuis qu’elle a emménagé dans cet appartement, elle ne sort presque plus.
Elle marche mal déjà. Elle a besoin d’un bras auquel s’agripper pour affronter un trottoir. Et ça lui fait défaut la plupart du temps.
Alors elle reste chez elle.
Les gens qui passent devant sa fenêtre, deviennent progressivement des nuisibles. S’ils parlent devant chez elle, c’est pour comploter.
Une fois, quelque chose a raclé son volet, dans la nuit.
Si c’est pas une preuve, ça, qu’est-ce que c’est? Sans doute quelqu’un envoyé par son fils.
Les voisins, elle ne les a jamais croisés. Elle ne les connait pas. Ses seuls contacts, ce sont les aides ménagères. Martine, qui vient une heure le mardi et le vendredi, et Francette, une heure trente le jeudi.
Trois heures et demie de contact humain dans la semaine.
Sans compter que Francette fait ses courses, le jeudi, sur son temps de présence. Mais il faut bien qu’elle se nourrisse, même si ses repas, depuis plusieurs années, c’est de la Ricoré avec du quatre quarts trempé dedans.
Matin, midi et soir.
Elle n’a même plus envie de manger autre chose.
Au début, elle ne sait pas quoi dire, mais maintenant, elle parle sans s’arrêter, comme pour rattraper tout ce temps qu’elle passe seule sans personne à qui parler.
Elle me montre des photos d’elle, plus jeune, prises là où elle travaillait. Elle était secrétaire du patron. D’ailleurs tous ses papiers sont très bien rangés, dans une collection de pochettes colorées, qu’elle est fière de me montrer. Elle ne perd pas la boule, tout est à sa place.
Elle veut un antidépresseur, elle pense que ça ira mieux avec.
Elle ne veut pas partir d’ici.
Elle ne veut pas de téléalarme, si elle tombe, elle a peur que son fils soit appelé, et qu’il en profite pour la mettre sous tutelle, comme il lui a promis.
Elle dit qu’elle ne veut pas plus de passages d’aides ménagères, elle pense ne pas avoir droit à plus que ses 3h30 par semaine, et jure ne pas avoir les moyens de s’offrir plus.
Elle est seule.
Cette semaine, elle aura parlé une heure de plus avec quelqu’un.
Voilà, c’est exactement ça. Et quand on songe que certains n’ont même pas l’aide-ménagère… Qui reste-t-il?
Merci de ton humanité.
Faire du lien. Créer la confiance. Etre là pour ceux qui sont seuls. Quelle tristesse quelquepart d’être ce lien, qui devrait être une famille, des voisins, des amis. Mais quelle chance pour nous d’être ce lien, même si c’est parfois déprimant.
Merci à toi, pour elle.
Je suis aide ménagère, salariée d’une association.
L’année dernière j’ai fais un de mes derniers remplacements chez une dame presque aveugle, seule, très seule, à peine entourée d’aides ménagères anonymes, qui passaient seulement, pour cause de congés, démissions et autre. Pas de points de repère.
Les patchs de morphine la nuit qui brouillent l’esprit.
Le fils qui a changé de numéro pour ne plus entendre parler d’elle. L’interdiction de sortir de chez elle pour des raisons d’assurance. Un chien minuscule, croisé et tout pelé comme seule compagnie, avec la radio et à boire. De la tisane et du soda à la pulpe d’orange.
Une solitude infinie.
Et une voisine, super, géniale, qui passe dès qu’elle peut.
Mais une solitude quand même, 80% du temps.
Si elle avait été plus près de chez moi, je serais retournée la voir, cette dame.
Parce que ce que je veux avant tout, c’est donner ce petit brin d’humanité, cette lueur d’espoir et de chaleur. Ce lien.
Heureusement que tu es là ! Tu fais un travail important pour toutes les personnes isolées !
J’ai découvert ce blog très récemment, par hasard…je suis touchée par cette lecture, par ces tranches de vie…je remonte lire tous vos posts, j’ai du retard!…Merci…sincérement!
Merci pour votre compliment.
je suis chaque fois si triste quand je lis toute cette solitude chez nos vieux, je pense qu’ils ne méritent pas de finir leurs jours de cette façon, sans juger personne je trouve que nous vivons plus que jamais dans une société individualiste et égoïste…