La vie n’est pas un long fleuve tranquille
1990
Je suis en 3ème. Je veux devenir cuistot.
Mes résultats ne sont pas mirobolants, mais je bosse régulièrement, le proviseur conseille à mes parents de me pousser jusqu’au bac plutôt que d’aller directement en CAP.
Je me laisse convaincre.
1993
Je suis en terminale C; les maths me sortent par les yeux, je ne conçois pas de suivre les deux tiers de ma classe qui veulent partir en prépa.
Deux mois avant le bac, pour les portes ouvertes de la fac, je visite par hasard celle de médecine, le bâtiment me plait, tellement moins déprimant que la faculté de sciences.
Une idée me vient en tête, devenir médecin, et surtout médecin légiste, celui qui trouve le cocon dans la gorge des femmes repêchées dans l’Elk river.
1999
Je suis en 5eme année de médecine
(Oui, j’ai fait 2 fois la 1ère année, et je vous merde)
Les chrysalides sont loin, j’ai fait un certains nombre de stages, en chirurgie, en psychiatrie, en spécialités médicales, j’ai appris à parler aux patients, je commence à aimer ça.
Un soir avec des potes de promo, on va voir « La Maladie de Sachs ».
Quand on sort, deux d’entre nous sont atterrés, et se disent qu’il faut absolument réussir l’internat. Les trois autres ont des étoiles dans les yeux et une seule envie, faire ça quand ils seront grands.
Je sais désormais que je serai généraliste.
2008
Ça fait cinq ans que je remplace, souvent loin de chez moi.
J’ai un projet d’installation dans quelques mois, mais j’accepte de remplacer un nouveau médecin, pour être sûr de pouvoir payer les premiers remboursements de ma maison (MA MAISON) au cas où personne ne viendrait dans mon futur cabinet (Ah-ah j’en ris encore).
Ce rempla est un fiasco, le médecin un épouvantail représentant l’intégralité de ce que je ne veux pas devenir.
Mais je m’emmerde tellement dans son cabinet paumé et désert que j’ai le temps de créer un blog, pour raconter une visite loufoque de la garde de la veille.
En cherchant à me faire lire, je découvre ceux qui existent déjà.
Et déjà je me sens moins seul.
2010
Après un an et demi d’installation, je craque, je ne sais plus où donner de la tête.
Je ne crains plus le manque de patients (Ah-ah, j’en ris toujours, mais jaune).
J’en parle sur le blog; parmi les commentaires qui me font chaud au cœur, Jaddo m’invite à rejoindre Twitter. Je me dis qu’elle est vraiment allumée, je doute que ça me fasse gagner du temps dans mes journées, mais ça a l’air marrant, alors je me lance.
Au fil des discussions, je réalise certaines de mes erreurs, j’essaye de me corriger, de retrouver ce mètre étalon du Dr Sachs que j’aurais tant aimé égaler.
Je deviens Prescririen et ferme la porte du cabinet aux visiteurs médicaux.
2012
Avec les médecins blogueurs, nous sommes reçus au ministère de la santé, suite aux propositions faites pour l’avenir de la médecine générale.
Même si nos propositions ne sont pas reprises, je réalise notre influence commune, notre capacité à fédérer. Je comprends aussi l’urgence de faire profiter au maximum de notre vision de la médecine générale.
Je prends la décision de devenir maître de stage.
2014
Sur le blog, sur Twitter, vers les secrétaires, certains jours, je râle, je chouine, je doute.
Mais la plupart du temps, je me satisfais du médecin que je suis devenu, de la médecine que j’exerce (presque) au rythme qui me convient, qui me semble adaptée à mes patients, aux étudiants que j’encadre.
Je le dois pour beaucoup à cette communauté des soignants de Twitter à laquelle je suis fier d’appartenir, et qui me tire vers le haut quotidiennement.
Les filles, les gars sincèrement, je vous dois beaucoup.
Merci.
Je vous <3!
<3
PS : je ne veuT pas, ça pique mes yeux.
Corrigé!
(It was late)
Nous aussi on te ♥ (et je crois que j’ai le même âge que toi en fait).
Han mais t’es toute jeune alors!
« cette communauté des soignants de Twitter à laquelle je suis fier d’appartenir, et qui me tire vers le haut quotidiennement. »
Voilà. Tout pareil. Je ne serais pas la même aujourd’hui sans ces rencontres.
Merci de nous le rappeler, ton récit rappelle à quel point c’est précieux.
<3 aussi!
J’ai pensé à toi en écrivant ce billet d’une bisounoursitude dont je m’étonne encore.
Bises
Et moi je fais juste partie de la communauté des patients qui se réjouissent que des médecins tirent ainsi leur pratique vers le haut.
Et moi je suis drôlement émue de lire ce billet, et drôlement contente que personne ne soit mort!
Ça va pas durer, profite!
C’est dommage d’avoir l’âge que j’ai et la proximité de la date du départ en retraite (je fais une différence entre l’âge légal et l’âge d’ârret de l’activité) mais j’ai découvert vos sites il y a quelques mois et franchement ça me plait. Continuez longtemps que je vous lise trés longtemps.
Merci du compliment.
C’est toujours un plaisir de vous lire. Cela enrichit ma pratique quotidienne en me faisant réfléchir autrement. En tant que patiente il est rassurant de penser que les malades ne sont pas que des sujets d’étude mais également des êtres humains dignes d’intérêt.
Heureusement que le proviseur du Collège D. était là quand même, quel (beau) chemin parcouru. Ceci-dit, t’es quand même toujours un super cuistot, t’as vraiment rien à regretter.
Yé soui fière de toi. Prends soin de toi maintenant, comme tu sais prendre soin de tes patients.
Merci sœurette!
En tant que patiente, que soignée, votre blog et ceux de bien d’autres, la manière dont vous envisagez vos pratiques est précieux.
Lorsque notre corps nous échappe, qu’il est rassurant de savoir que le médecin en face ne va pas nous en déposséder.
Merci à Martin Winckler d’avoir donné une vision autre de la médecine mais merci surtout à celles et ceux qui pratiquent cette médecine au quotidien.