Impuissance et conséquences
Elle est venue il y a deux semaines, avec des symptômes divers, peu évocateurs. Pour elle, c’était une maladie de Lyme, pas pour moi.
Elle voulait une confirmation biologique, mais pas une sérologie, ce n’était pas suffisant. Son mari a développé une maladie de Lyme avec une sérologie négative, ce n’est que sur le Western blot qu’on a fait le diagnostic.
Elle a insisté pour que je lui prescrive un Western blot.
Il est revenu positif, « avec des éléments en faveur d’une atteinte neurologique débutante » selon le biologiste.
Elle a pourtant refusé le traitement antibiotique, elle est férue de médecine chinoise, elle va se débrouiller autrement.
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Hémoglobine glyquée 9,50%.
Je le regarde, il me sourit.
J’ai tenté différentes approches pour le faire s’impliquer dans la prise en charge de son diabète, mais rien n’y fait. Il ne se sent pas malade, ces chiffres ne veulent rien dire pour lui. C’est un bon vivant, il oublie souvent ses traitements, son canapé est son meilleur ami.
Je ne lui parlerai pas de la surveillance du fond d’œil.
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Elle pleure, elle crie, après son fils qui ne vient plus la voir, à peine pour Noël. Elle se calme, elle parle avec l’étudiant qui m’accompagne, s’intéresse, pose des questions mais n’attend pas la réponse.
Elle souffre de troubles bipolaires, mais ça ne veut rien dire pour elle, c’est juste « son caractère ». C’est pour ça qu’elle ne veut plus prendre le lithium, alors qu’elle allait bien avec.
Elle a mal partout, ça joue sur son moral, c’est pour ça qu’elle pleure pour un rien. Elle voudrait des médicaments plus forts, ne veut pas reconnaître que les traitements « pour les nerfs » pourraient l’aider.
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Elle revient, pour la sixième ou septième fois de cet hiver trop doux. Pour la même chose.
Je lui explique, une fois de plus, que c’est normal, que la première année en crèche, les enfants se refilent tous les virus, qu’il va se faire une immunité, qu’il n’y a pas de signe de gravité, encore moins d’argument pour mettre des antibiotiques.
Je vois bien qu’elle ne me croit qu’à moitié.
Et qu’elle reviendra dans une semaine, parce qu’il a toujours le nez qui coule.
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Il a un cancer multimétastatique, mais insiste pour qu’on poursuive la quatrième ligne de chimiothérapie malgré tous les effets secondaires des trois premières.
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Elle a mal dans le ventre. Ça doit être la vésicule, c’est bien en haut la vésicule?
La dernière fois elle avait des fourmis dans la tête, ça ne pouvait qu’être un début de sclérose en plaques. Elle n’a même pas pensé à en parler cette fois, vu que l’urgence, c’est devenu la vésicule.
Elle veut une échographie, voire un scanner. Ça peut arriver, un cancer de la vésicule? Ça ferait mal comme ça?
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Je sais que l’éducation thérapeutique, ça se fait sur le long terme.
Je sais que faire accepter un diagnostic, un traitement, ça prend du temps, ça se négocie, ça demande parfois des concessions.
Je sais qu’une consultation de médecine générale ne se termine pas souvent par un diagnostic certain, avec le traitement adéquat à disposition.
Évidemment, il y a tous ceux aussi qui me posent moins de problèmes et à qui du coup je ne pense pas quand mes paupières refusent de se fermer à 4h du matin.
Il me reste à apprendre à accepter mes échecs récurrents, à les analyser, pour continuer à croire que je peux encore apporter quelque chose à ces patients récalcitrants.
Quoi !? L’impasse sur le fond d’oeil ? Tu dormais en cours ou quoi ! Halala ces médecins récalcitrants
Bisous
Je savais que tu réagirais. C’était un piège!
Répéter les mêmes choses. Négocier. Tenter de les comprendre. Se sentir impuissant, différent, incompris.
Pas facile notre boulot copain. Mais je suis sure que tu le fais bien. Continue.
Nan mais voilà, le problème il est là : »mes échecs ».
En aucun cas ce sont tes échecs à toi tout ça. D’où tu as une obligation absolue de résultats ? Ton rôle n’est pas de trouver une solution à tous les problèmes du monde.
Tu es là pour les accompagner, les conseiller, les guider, les aider.
Pis des fois ça ne marche pas. Et tu n’y peux rien, et c’est comme ça. Et personne te jettera la pierre, alors ne te lapide pas tout seul.
Les patients prennent leurs décisions et trouvent leurs solutions, même si c’est pas celle que nous aurions choisi, même si on leur a conseillé une autre.
J’allais dire la même chose que docmam, ce ne sont pas TES échecs. Tes patients ne perdent pas leur libre arbitre en entrant dans ton cabinet, tu peux faire de ton mieux pour leur suggérer ce qui selon toi est la (sont les) meilleure(s) solution(s) mais ils gardent leur responsabilité pleine et entière. Quelque chose ne passe pas, c’est peut-être toi, peut-être eux, plus probablement un peu toi un peu eux. Ne porte pas tout le poids sur tes épaules, ça ne te fait pas de bien et à eux non plus.
Je rejoins ce qui a été dit : pas d’obligation de résultat.
Tu commettrais des erreurs si tu te moquais d’eux ou, pire encore, le jour où un souci plus important de santé leur arrivait tu leur disais « ah bah ça, je vous l’avais bien dit mais vous n’avez pas voulu m’écouter »
Tu soignes des adultes qui ont leur libre arbitre et peuvent choisir leurs soins. Tu leur fais là un cadeau inestimable : tu leur laisses le choix et tu continue à les soigner même si celui-ci n’est pas celui que tu aurais aimé qu’ils fassent.
Et tu parles d’échec ??
Putain c’est bô.
Vous avez peut être raison. Sans doute suis-je contaminé par une humeur pessimiste générale.
Il y a quand même des fois où la solution semble si simple. Et pourtant ça ne tourne pas comme je veux. Je ne peux qu’y voir une responsabilité, même partagée, de ma part.
Tout à fait d’accord avec docmam : je ne suis pas doc, mais on dirait un parent qui se demande ce qu’il a mal fait avec ses enfants, ou un prof avec ses élèves…
Vous faites votre maximum, vous expliquez, vous donnez le choix. Ne vous sentez pas coupables quand nous patients prenons une direction qui n’est pas la votre!
On ne peut pas forcément tou.te.s s’en remettre à nos médecins les yeux fermés… Mais ça ne veut pas dire que vous avez échoué.
Je vais peut être dire une connerie, mais pour moi, un patient qui revient régulièrement comme ceux cités (même la maman inquiète), bah c’est pas des échecs sinon ils ne reviendraient pas du tout.
Alors oui, ils ne vous écoutent pas autant que vous aimeriez, pas assez en tout cas pour faire basculer leur comportement du jour au lendemain vers quelque chose qui vous semble plus logique. Mais ça veut pas dire non plus que ce que vous dites c’est que du vent et que vous ne leur apportez rien. Peut être à force d’accumulation, la bascule se fera un jour. Peut être que ça change quand même des petits trucs dans leurs vies que vous ne voyez pas.
C’est déjà un grand pas si ce genre de patients continuent de venir régulièrement..
C’est difficile, et c’est fatigant, et c’est usant parfois… Et on a beau savoir que ça prend du temps, et qu’on est là pour les accompagner, et qu’on ne peut pas prendre leur traitement / arrêter l’alcool / faire les examens… à leur place, ce sentiment d’échec, il est là souvent aussi chez moi.
Et pour le coup , pour moi, l’éducation thérapeutique ailleurs qu’en consult, en réseau, en équipe, avec des patients en groupe, ça me permet de recharger mes batteries d’optimisme-pour-mes-patients-on-y-croit-un-jour-ça-va-bouger…
Bonsoir
Il y a une chose que je retiens : le grand respect que vous avez pour vos patients et ça, c’est une réussite. On en croise des médecins qui disent « c’est comme ça et pas autrement » et qui nous donnent l’impression d’être des moins que rien.
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Alors oui, vos patients pourraient aller mieux… mais au moins ils se sentent reconnus et respectés. Et peut-être est-cela qu’ils attendent de vous. Quant à la jeune maman, elle apprendra
Pas medecin et n’y connais rien…
Pourtant un ami bipolaire suicidé, une amie niant son diabete emportee a 20 ans, des meres stressees stressant, des Lyme qui tombent alentour toujours il semblerait sur les plus ‘bios’ qui souffrent et endurent jusqu’a trop tard (pour les antibios)…
Et je me suis demandee pourquoi personne n’avait su les convaincre…et comment c’est possible d’etre medecin et avocat…(ca fait long comme etudes)…
Des phrases equivalentes a ‘Ca ne serait pas mon choix. Je vous invite à aller consulter une consoeur/un confrere pour un deuxieme avis…et un autre chance de sauver votre peau/preserver une qualite de vie avec ce qu’il en reste. Voici un courrier avec le bilan des faits’ c’est vu comme une fuite ? briser un lien de confiance ?
Bon courage…bravo pour l’accompagnement…
Pire sourd que celui qui ne veut pas entendre bien sur …
Caliméro, tu connais?
tu me fais penser à lui.
gna gna gna
Toujours à se plaindre, à se trouver nul, à culpabiliser…
La vie est bien courte… Lâche un peu de lest,
laisse un peu tes patients aller là où ils veulent.
tu n’en ira que mieux,
ça allégera ton fardeau.
Arrête de perdre ton temps,
il y a tellement à faire.
Laisse les tomber de temps en temps,
lâche-les, ça leur fera du bien.
Et puis tu verras qu’ils reviendront,
peut-être auront-ils eu quelques petites complications…
Ceux qui se relèvent vont t’écouter.
J’entends d’ici les protestations de certains:
<>
Ce genre de conneries.
Et le burn-out ?
à force de vouloir tout gérer
on ne fait plus rien de bon.
La faute professionnelle c’est de nier ses limites.
- à quoi sert donc un médecin vidé ? -
Mais j’ai l’impression que tu commences à les cerner, tes limites…
Tu aimes juste te plaindre un peu non ?…et surtout qu’on te plaigne !
Allez, va prendre l’air, ça t’aidera à dormir.
Bonjour
Déjà 8 jours que j’ai pris le large, loin du cabinet, c’est vrai que ça va mieux. L’air de la montagne…
Le blog, ça permet aussi d’exprimer des choses qu’on ne peut pas dire à ses patients, à son entourage, quand ça déborde justement, en attendant l’effet apaisant des vacances.
Alors désolé si mes textes sont barbants actuellement, moi je vais essayer de me soigner, et toi, tu peux aller lire autre chose de plus intéressant, tu m’as l’air crispé, prends soin de toi aussi.
Sans rancune.
Oui, effectivement cette histoire de culpabilité et d’épuisement professionnel n’est pas neutre pour moi… et ça concerne aussi et surtout mon entourage… à qui j’essaye de faire comprendre qu’on est pas des super-héros.
Tes textes sont par moment barbants, et la plupart du temps intéressants. Ce serait bien que tu continues.
Désolé pour mon agressivité.
Hum, j’ai lu tous les comms pour voir si quelqu’un d’autre avait réagi comme moi, mais il semble que non ?
C’est ton premier cas qui me laisse pantoise.
Tu t’es planté sur le diagnostic (mais tu as su écouter la patiente). La patiente avait raison.
Tu aurais prescrit un test peu fiable (mais tu as su écouter la patiente bien renseignée). La patiente avait raison.
Tu aurais prescrit un traitement classique (mais tu as su respecter le choix de la patiente). Jusqu’à présent, peu de raison de ne pas lui faire confiance, si ?
En résumé, ta patiente était informée et elle avait raison sur toute la ligne. Elle a choisi un traitement alternatif. Pourquoi ne serait-il pas efficace ? La médecine chinoise, on est loin de l’escroquerie, quand même.
Tu as respecté ta patiente et ses choix. Pourquoi t’en vouloir ?
Bref, je ne vois pas trop le rapport entre ce cas et les suivants.
Putain MOI AUSSI j’ai des fourmis dans la tête de temps en temps !!! J’aurais pas du lire cet article…