Les montagnes russes
Lassitude, après avoir encore une fois géré le patient d’une consœur qui a pensé suffisant d’envoyer seul l’externe de quatrième année, dans sa première semaine de stage, pour voir ses patients de l’hôpital local.
Colère sourde, face au sapin de Noël faisant office de médecin du travail, qui ne propose rien d’autre à ma patiente à la fin de son mi temps thérapeutique que de serrer les dents pendant les 8 ans qui la séparent de la retraite.
Plaisir, de picorer les fraises offertes par un patient.
Dégoût, quand la directrice annonce, dix minutes avant qu’il ne rejoigne la réunion, qu’on va se séparer du pharmacien de l’hôpital, quand on devait évoquer l’augmentation de son temps de travail pour lui permettre de faire avancer la qualité des soins sur l’établissement.
Fierté, pour cette consultation d’annonce qui se termine par des remerciements malgré les mauvaises nouvelles présentées, pour le temps passé à les avoir expliquées en douceur.
Imposture, devant ce confrère venu me parler de son burn out en consultation, et dont je sais que mes trop timides arguments ne l’ont pas convaincu que j’avais su moi même m’en préserver.
Impuissance, d’apprendre l’immense déception d’une amie chère, et ne trouver que des mots banals pour tenter de consoler son chagrin.
Hilarité intérieure, de cette connaissance qui me trouve une mine radieuse quand je suis au bord de l’implosion.
Désarroi, en apprenant la mort d’un patient, probablement hâtée par une erreur de prescription d’une consœur, corrigée par mes soins, quand cette dernière ne semble pas se remettre en question sur cet « événement indésirable ».
Fébrile impatience, de ces dix jours de repos que j’ai encore trop attendu pour prendre, et qui vont arriver trop tard pour que je n’aie pas eu le temps de perdre parfois mon sang froid devant quelques patients trop exigeants.
Bonjour,
Juste un mot sur la consultation d’annonce : tant que le retour n’a pas été perçu par un autre soignant, le médecin traitant par exemple, l’annonceur doit se méfier de son propre contre-transfert et de l’impression qu’il a eu ; je fais toujours, en douceur, un contre-interrogatoire : pour deux raisons : 1) pour tenter de comprendre ce que le patient a compris (et sa famille si besoin) ; 2) parce que nous n’avons jamais d’informations, nous les médecins traitants, avant de revoir les malades, sur ce qui a été dit et sur les choix thérapeutiques proposés (nous sommes ceux qui connaissons le mieux le patient et son milieu) ; le plus important dans l’annonce, c’est la sincérité des traitements ou, plus important, des non traitements et la consultation d’annonce, ce n’est pas s’assurer que le traitement sera suivi mais s’assurer que les enjeux thérapeutiques sont compris.
Ce n’est bien entendu simple pour personne.
Bonne journée qui s’annonce belle.
Je suis complètement d’accord. Combien de fois j’ai pu voir arriver des gens en séjour de soins palliatifs qui semblaient tout ignorer de leur diagnostic alors qu’on m’assurait par ailleurs que l’info avait été donnée. Certaines annonces sont suffisamment violentes pour qu’on préfère les oublier par mécanisme de défense. La partie n’est jamais gagnée.
Bon, sinon, j’avais juste galeré pour trouver quelques points positifs dans cette semaine chargée. Merci d’avoir modéré ce relent d’optimiste totalement incongru.
Parfois on se sent au fond du gouffre, vraiment au fond. Et puis quelqu’un appelle, et sa voix fait du bien. Juste sa voix. Des mots banals peut-être. Mais des mots doux, des mots gentils, des mots sincères. Des mots face aux pleurs qu’on n’arrive pas à contenir. Des mots face à la colère causée par ce qu’on estime injuste. Des mots doux, apaisants.
Merci pour ces mots, tes mots.
Merci de partager ces montagnes russes avec nous car vous lire est toujours un moment de plaisir.
Mais cette tristesse qui imprègne de plus en plus vos posts m’incite à vous souhaiter de bien profiter de vos vacances et de profiter de tous vos moments de joies quotidiens.Le burn-out n’est pas loin…Si cela peut vous aider, moi, je viens d’en sortir après 5ans et cela va bien.
Ah, tiens.
J’étais dans le même état il y a quelques semaines.
Ca fait deux semaines que je suis en « vacances thérapeutiques », et demain je vais voir mon docteur pour avoir son avis. pour ma part, je ne me sens pas de reprendre, c’est trop dur. pas tout de suite.
Fais attention, à trop tirer sur la corde, elle casse…
Cela fait un certain temps que je suis régulièrement ce blog (j’ai même posté sur les réseaux sociaux certains articles) mais je m’aperçois que je n’avais pris le temps d’écrire un petit mot pour vous remercier d’écrire et de raconter avec brio (rien que ça!) votre expérience quotidienne de médecin généraliste… Vos histoires me touchent toujours, m’enseignent, me rappellent à l’ordre, me font réfléchir, découvrir l’essence même du concept de « prendre soin »(vous l’aurez sans doute deviné, oui, je suis moi aussi un « soignant »)
Merci donc de votre simplicité, votre pudeur, votre franchise et de la qualité de vos écrits qui me permettent encore aujourd’hui, même si je travaille au sein d’un service « technique » de me souvenir de ce que signifie « soigner ».
Grâce à vous, je n’oublie pas…
Ne vous arrêtez pas, votre action est salutaire!
Merci encore,
Meduloblong.