12 décembre 2014 6 Commentaires

Dernier clin d’oeil

Dimanche matin. Premier jour d’une semaine de vacances.
J’ai 300 km à faire pour aller voir ma sœur exposer ses photos dans un festival, raison de plus pour se féliciter de n’être plus capable de dormir après 8h du matin.
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Pendant que la théine régénère doucement mes neurones, le téléphone sonne.
Cela fait une semaine que j’attends ce coup de fil, je suis plutôt soulagé qu’il survienne avant que je m’éloigne vraiment.
Ça me fera un détour supplémentaire, mais j’aurai l’esprit tranquille.
Dehors, le brouillard enveloppe les collines. Je prends la même route que tous les matins pour aller au cabinet. Après avoir passé le haut de la butte, avant la petite église romane, une masse sombre tombe du ciel, vient frapper mon capot dans un grand fracas, et rebondit dans le pré en contrebas de la route.
Je m’arrête en vrac sur le bas-côté et sors de la voiture.
Dans le pré, le chevreuil qui vient de jouer à saute-mouton avec mon capot s’est arrêté un peu plus bas. Il me regarde, il n’a même pas l’air surpris. Il ne bronche même pas quand je l’engueule pour la frousse qu’il vient de me filer, puis reprend son chemin.
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Je fais de même, les 20 km qui restent me laissent reprendre un rythme cardiaque normal.
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Quand j’arrive, tu es mort.
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C’est pour ça que je viens d’ailleurs. Même si le médecin de garde aurait pu signer le certificat de décès, ton épouse a préféré que ce soit moi qui m’en charge. Pour boucler la boucle, ce que je n’ai pas refusé.
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Elle me remercie chaleureusement pour m’être déplacé, et pour tout ce que j’ai fait ces derniers mois pour que tu restes à la maison jusqu’au bout.
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Elle devrait commencer par te remercier, pour les directives anticipées que tu m’avais transmises et renouvelées, et dont on a parlé plusieurs fois en consultation, quand tu venais encore au cabinet; ça fait presque 10 ans que je te connais, et quand j’ai accompagné ta propre mère dans la phase terminale de la même maladie, je ne me rappelle pas avoir été très performant pour lui permettre de nous quitter sereinement et sans douleur.
Toi, tu t’es laissé partir doucement, sans grosse complication, sans symptôme difficile à maîtriser qui aurait imposé qu’on t’hospitalise pour un meilleur confort.
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Elle devrait remercier les infirmiers, dont la disponibilité s’est adaptée à tes besoins, et qui m’ont tenu au courant régulièrement de ton évolution.
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Elle devrait remercier le pharmacien, qui a accepté un samedi après-midi de délivrer quelques ampoules de morphine injectable, sur une ordonnance envoyée par mail,  quand dans tes dernières heures  seulement tu as commencé à montrer des signes de douleur.
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Elle devrait remercier enfin tes enfants qui ont pu se libérer de leurs contraintes professionnelles pour t’accompagner sur tes derniers jours, et la soutenir dans ce moment particulier.
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Je ne reste pas très longtemps, j’ai toujours mes 300 km à faire ce matin. Je m’étonne de ne pas avoir une larme qui me chatouille en remontant en voiture. Sans doute le sourire sincère et apaisé de tes proches m’aide à me satisfaire de cet épilogue.
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Et je me plais à croire que c’est toi qui m’a fait ce clin d’œil inattendu sur la route pour venir chez toi, ce matin.

6 Réponses à “Dernier clin d’oeil”

  1. Doc Véro 12 décembre 2014 à 10:54 #

    Frissons ce matin en vous lisant !
    Des clins d’oeil comme ça, la vie nous en offre plein, à nous de garder les yeux ouverts…
    Bonne route et soyez prudent pour vos 300 km

  2. Allojeudi 13 décembre 2014 à 1:50 #

    Comment ça une semaine de vacances ?!

  3. Hermine 15 décembre 2014 à 1:05 #

    Tes mots sont doux et apaisés..

  4. Lina 18 décembre 2014 à 15:42 #

    C’est bon de sentir que la vie et la mort peuvent être en harmonie, se suivre sans heurt (sauf un petit coup de sabot sur la capot !) et que la tranquillité peut revenir au sein d’une famille. Si la notion de mort est acceptée par celui qui la sent venir mais aussi par ses proches (famille et soignant), le manque est là, l’absence bien sûr, mais la paix règne dans tous les coeurs.
    Merci pour ce beau témoignage.
    Continuez à soigner-accompagner avec votre coeur !

  5. carnot 19 février 2015 à 17:54 #

    vaste sujet que ces directives anticipées.. tellement difficile de savoir ce qu’on voudra quand ce sera l’heure. je rencontre tellement de personnes qui négocient en permanence avec elles-même, parce que finalement… la vie… on l’a chevillée au corps, meme lorsqu’il lâche.
    ce qui compte avant fou c’est d’être entouré des siens, lorsqu’on en a, des autres sinon… de ne pas être abandonné..
    http://www.vivantsensemble.com


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