Un samedi soir sur la terre
Il n’a rien dans le ventre depuis une semaine, juste du pastis.
Il enchaîne les clopes, l’une après l’autre. Sans pause.
Parfois il s’arrête entre deux phrases, son visage se crispe, ses yeux sont secs, comme le reste de son corps; il cache la tête dans ses bras le temps de reprendre son calme, puis reprend le fil.
Les rendez-vous avec le cancérologue, les annonces alarmantes. Elle lui disait « Ne les écoute pas, les médecins, ils disent tous que des conneries! » Il tourne brièvement l’œil vers moi, s’excuse. Elle avait tellement envie de vivre, c’est pour ça qu’elle disait ça.
Son regard se perd de nouveau au fond du jardin.
Un jeune chat se frotte à mes chevilles, à ma sacoche, cherche le contact.
Derrière, la maison, à l’abandon, avec les plantes mortes dans les pots, des cadavres de paquets de cigarettes partout, de la terre sur le sol, même dans la chambre, une assiette dans l’évier, vide, qui n’a même pas l’air d’avoir servi.
C’est là qu’ils vivaient ensemble, c’est dur de rester, mais c’est encore plus dur de devoir partir, puisque ses enfants à elle veulent vendre.
Appelés par un voisin, les pompiers sont déjà là depuis une heure, il ne veut pas être hospitalisé dans cet hôpital où elle est morte, il y a 6 mois.
A force d’arguments, de temps passé à expliquer qu’il ne peut pas rester dans cet état, surtout avec les médicaments qu’il a mélangé à l’alcool, il abdique.
Il monte dans le camion des pompiers après avoir négocié une cigarette de plus.
On ferme la maison, donne la clef aux voisins, avec les croquettes pour le chat.
Les premiers éclairs zèbrent le ciel, à l’horizon.
Ça fait du bien Doc, de vous revoir…